Inflation et accès à la propriété

28/06/2022

Interview de Bruno Rouleau pour Rédaction Financière, porte-parole de chez In&Fi Crédits, réseau de courtiers en crédit de proximité, président de l'APIC (Association Professionnelle des Intermédiaires en Crédits).

Propos recueillis par Bertrand Dubourg, Rédacteur en chef de redactionfinanciere.com

Sommaire

  • 2022 est-elle la meilleure année pour devenir propriétaire notamment avec la hausse des taux de crédits ?
  • Cette hausse des taux est-elle si importante par rapport aux années précédentes ?
  • Cette hausse va-t-elle continuer de s'accroitre ou connait-elle déjà une stabilisation ?
  • Les primo-accédant doivent-ils attendre afin de mener à bien leur projet d'achat ?
  • Les français souhaitant devenir propriétaires doivent-ils plutôt attendre une potentielle récession ?
  • Et pour l'achat d'une résidence secondaire, est-ce le bon moment d'emprunter ?
Bruno Rouleau, porte-parole chez In&Fi Crédits
Bruno Rouleau, porte-parole chez In&Fi Crédits

Bertrand Dubourg: 2022 est-elle la meilleure année pour devenir propriétaire notamment avec la hausse des taux de crédits ?

Bruno Rouleau: Avant tout, ayons en tête que le rapport à l'opportunité d'achat n'est pas le même selon que vous êtes dans un investissement que lorsque vous êtes dans une opération d'accession pour votre résidence principale. 

L'achat du logement où on va vivre est davantage guidée par des besoins d'habitat, de bien-être, de projet de vie. De plus le bien est, a priori, destiné à être conservé, même si on sait statistiquement que lorsqu'il s'agit d'un premier achat, et notamment dans les grandes agglomérations, la détention moyenne est plutôt aux environs de 7-8 ans (très stable en fait). 

Enfin, il faut comprendre que l'alternative à l'achat est réduite : location ou résidence chez les parents/des proches, si on fait abstraction des personnes pouvant disposer d'un logement de fonction. Si on veut établir une relation avec le niveau des taux d'intérêt, il est certain que la hausse des taux d'intérêt renchérit le coût d'achat du logement, et pénalise la capacité d'emprunt par le phénomène du taux d'endettement. 

En clair, avec des taux haussiers, je peux moins emprunter. Cela va avoir comme conséquence de réduire la surface d'habitation qu'on peut acquérir, ou dégrader le niveau de confort du bien, ou encore obliger à s'éloigner du secteur envisagé pour trouver un bien moins cher.

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Néanmoins, cette situation peut aussi emporter une baisse des prix moyens des biens car les impacts de la hausse des taux d'intérêt touchent tout le monde. Et les biens peuvent trouver de ce fait plus difficilement acquéreurs. Cependant, il faut savoir que ce phénomène dépend d'une inertie plus ou moins longue des vendeurs, selon qu'ils pensent que c'est une situation passagère ou durable. Les délais sont variables en fonction des motifs de la hausse et du contexte.

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En résumé, il est toujours le bon moment pour acquérir son logement de vie. Par contre, la hausse des taux peut freiner sur la qualité ou la taille du bien qu'on envisageait.

B.D: Cette hausse des taux est-elle si importante par rapport aux années précédentes ?

B.R: Prenons un peu de hauteur par rapport à cette hausse. Nous sortons d'une période quasi-continue de baisse des taux d'intérêt depuis près de 12 ans (sortie de la crise financières des subprimes). 

Cette période a d'abord été portée par le rebond d'après crise financière, puis par une croissance économique mondiale, notamment en provenance de Chine et des Etats Unis, accélérée par l'endettement et les liquidités mise sur le marché par les différentes banques centrales continentales ou nationales. 

Enfin, la crise sanitaire du Covid-19 a provoqué une action concertée des autorités politiques et financières qui ont soutenu davantage les économies en allant très au -delà de tout ce qui était imaginable préalablement. 

N'oublions pas que les banques ont pu prêter de l'argent en se refinançant à taux négatifs. C'est-à-dire que non seulement les banques centrales injectaient de l'argent assez facilement, mais en plus elles donnaient de l'argent pour que les banques commerciales prêtent aux économies. Cette situation n'était de toute façon pas durable, sauf à provoquer une faillite totale du système monétaire international. La hausse récente des taux d'intérêt était donc prévisible. Ce qui est compliqué à gérer c'est la brutalité du rebond. En effet il y a eu un télescopage entre la décision de renormaliser la situation, la persistance du ralentissement de certaines productions en provenance d'Asie notamment lié à la crise sanitaire, et la survenance du conflit russo-ukrainien. 

Ce dernier, au-delà du drame humain, a mis en lumière l'inter-dépendance énergétique, industrielle et alimentaire du monde entier. Et du coup cela a généré une inflation foudroyante des prix des denrées alimentaires de base (céréales notamment) et des énergies fossiles, en même temps qu'une mise à l'arrêt de chaînes de production industrielle. Donc oui, nous assistons à une remontée très forte et brutale des taux d'intérêt du fait de cette combinaison « malheureuse ».

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Néanmoins, soyons honnêtes : même si les taux d'intérêt sur les crédits immobiliers remontent encore un peu, nous restons sous le niveau de l'inflation -ce qui est relativement paradoxal dans une économie prétendue libérale- et surtout nous demeurons dans des niveaux qui sont les plus bas depuis presque un siècle.

B.D: Cette hausse va-t-elle continuer s'accroitre ou connait-elle déjà une stabilisation ?

Bienheureux celui qui le sait. Il est évident que les autorités politiques et financières essayent de contenir cette hausse afin de ne pas mettre un coup d'arrêt dangereux à l'investissement et à la consommation. C'est un exercice compliqué entre gestion des taux, de la quantité de monnaie en circulation et la maitrise de l'inflation. Tout ceci sera l'affaire de la qualité de la synchronisation des stratégies des grandes nations économiques, et de l'évolution du conflit russo-ukrainien.

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A ce jour on peut logiquement penser que la brutalité de la remontée des taux est derrière nous. Par contre, nous ne sommes pas à l'abri d'une poussée plus lente mais plus durable du niveau des taux. A la fois pour les raisons liées aux conséquences de la guerre en Ukraine et de la capacité à amortir les impacts sur l'inflation des matières premières, mais aussi le temps de trouver un nouvel équilibre dans les approvisionnements industriels et alimentaires.

Et puis, n'oublions pas la crise sanitaire dont nous ne sommes pas sortis, avec les multiples variants et les effets sur les modes de vie. Enfin, en cas de nouvel ordre économique, ou de stabilisation relative des enjeux, il va y avoir le financement de ces nouvelles organisations. Lorsque la France décrète de réindustrialiser ou de revenir à des circuits alimentaires courts, c'est un soutien à des secteurs économiques qu'il va falloir porter. Et ça ne se fait pas avec des taux d'intérêt élevés, qui ont pour effet de brider l'investissement. Il y a donc tout à penser que la partie la plus violent de la hausse est en voie de stabilisation, mais les taux continueront de monter, c'est quasiment certain, mais sans doute de façon moins forte.

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Les primo-accédant doivent-ils attendre afin de mener à bien leur projet d'achat ?

On en revient à votre première question. Quel degré d'urgence donne-t on au projet d'achat de son logement ? Concernant la situation des primo-accédants il y a par contre d'autres facteurs perturbateurs.

D'abord, la hausse du coût du crédit n'est pas le seul frein à l'endettement. Le Haut Conseil à la Stabilité Financière a renforcé en juin 2021 les critères d'octroi des prêts immobiliers, notamment en termes de durée des prêts (NDLR : 25 ans maximum, plus la prise en compte de la période de préfinancement si achat dans le neuf et dans la limite de 2 ans). Or, bien souvent, les primo-accédants sont des ménages plus jeunes que la moyenne du marché, et sont en début de carrière professionnelle. Leurs revenus peuvent donc être évolutifs, mais la période à laquelle ils achètent ne peut anticiper cette évolution. Ce qui fait qu'en bloquant à 25 ans, on réduit la capacité d'achat.

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Ensuite, et toujours en raison de la jeunesse des ménages, il ne leur a souvent pas été possible de constituer une épargne importante pour réaliser un apport personnel dans leur projet. Cela les rend dépendants du montant du prêt octroyé pour se positionner sur un logement, tant en termes de budget global de l'opération que vis-à-vis du banquier prêteur qui n'a pas de recul sur la capacité du ménage à supporter un remboursement long.

Enfin, la hausse des prix des logements rend la liberté de choix plus difficile. D'autant que dans le même temps, le marché de la construction et de la promotion, sur lequel les primo-accédants se positionnent prioritairement, du fait de l'accès aux prêts aidés ou réglementés (PTZ...), est en panne.

On voit donc que pour les primo-accédants, aux effets liés à la hausse des taux s'ajoutent un contexte peu favorable. Il leur est donc nécessaire de préparer davantage encore que des secundo-accédants ou que des ménages davantage établis en immobilier.

Les Français souhaitant devenir propriétaires doivent-ils plutôt attendre une potentielle récession ?

La récession c'est une période répétée de décroissance économique. Entrer en récession entraine souvent une dévalorisation des biens, du moins de consommation courante. Concernant les biens immobiliers, il peut y avoir deux effets totalement contradictoires. Soit une érosion du prix. Ce qui signifie que la valeur d'achat de votre logement va baisser avec le temps. Ce n'est pas très réjouissant de savoir que vous allez perdre de l'argent dès que vous allez mettre les pieds dans votre logement. Soit, en cas de forte pénurie de cette typologie de biens, un maintien à un niveau élevé des biens, par leur rareté ou leur qualité. Ce qui vous exclura aussi de la capacité d'achat.

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En fonction de l'ampleur et des causes temporaires ou structurelles de la récession, cette situation peut-être plus ou moins longue. Une récession longue est en général accompagnée de crise sociale et économique. Et on revient sur le sujet du projet, indispensable ou pas. Mais une vraie récession n'est jamais profitable, donc parier sur celle-ci est dangereux car on ignore tout de sa durée et de son issue.

Et pour l'achat d'une résidence secondaire, est-ce le bon moment d'emprunter ?

L'achat d'une résidence secondaire répond à d'autres motifs. Cela peut être par envie d'anticiper une future résidence principale au moment de la retraite, par exemple, ou pour revenir dans une région d'origine ou qui répond à de nouvelles aspirations. 

Plus rarement, car cela passe alors plus généralement par de l'investissement locatif, ça peut être en prévision de l'installation d'un proche (parent, enfant). Dans tous les cas, la notion d'importance, d'urgence, ou de besoin est dépassée par les notions de plaisir, envie ou prévoyance. 

Le sujet des taux d'intérêt est moins le facteur déterminant que l'opportunité de l'achat ou que la capacité d'emprunt ou d'apport. La résidence secondaire est davantage liée à la fluidité du marché, au niveau de prix, ou à des ressorts privés qu'à une situation d'emprunt.

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Donc, le niveau actuel des taux, même avec une remontée brutale, n'est que rarement un obstacle au projet. 

Par contre, les sujets économiques et de contexte qu'on a évoqués, en regard à sa situation professionnelle, familiale, peuvent peser énormément : prudence au regard de la situation, report d'autres opérations patrimoniales, crainte de perte de revenus... sont des facteurs présents dans l'esprit des personnes envisageant l'achat de leur résidence secondaire, sans compter la fiscalité.

Monsieur ROULEAU, merci!